Laboratoire
des
FRONDEURS

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La conversation de la révolution française

Note complémentaire aux conversations singulières

 

 

Pour préciser ce qu’il y a à entendre sous le terme de conversation singulière, je voudrais donner un aperçu de ce qu’a pu être la conversation à une autre période, pendant la révolution française. Toutes les révolutions ont instauré des formes singulières de conversation : la révolution anglaise, la fronde, la révolution française, la révolution russe et la révolution iranienne. La spécificité de la conversation de la révolution française est pour une faible part héritée de la conversation aristocratique, et pour une large part héritée de sa critique et de son renversement par le débat de rue. Sous la royauté, la formation de la cour a donné naissance à un type de conversation où quelques individus sélectionnés discutent des affaires de l’Etat afin d’influencer les décisions du roi. Lorsque la conversation s’y est trouvée trop corsetée, elle s’est établie dans des salons puis dans des clubs où des aristocrates et des lettrés se sont mis à discuter de manière suivie de philosophie et des affaires de l’Etat, sans que cela n’ait de conséquences pratiques. Mais avec la révolution française, cette conversation est sortie avec fracas des salons poussiéreux, confinés et maniérés pour s’établir dans les rues. Le surgissement de la conversation dans les rues est le cœur de la révolution. « Sous Louis XIV, on causait beaucoup, à la cour, des affaires publiques, peu à la ville, et encore moins dans le reste de la France. Mais, au moment de la Révolution, ces proportions sont renversées, parce que l'exemple de la conversation politique » s’est diffusé dans les faubourgs, les marchés, les ateliers, les casernes, les mansardes (Tarde). Les gueux qui en étaient jusque-là exclus, ont créé l’ample conversation de la révolution française pour faire valoir leurs opinions sur les affaires publiques et sur tout le reste, et les mettre en pratique. « Au lieu d’une conversation générale et spéculative [caractéristique des salons], c’est une prédication en vue d’un effet pratique, subit, profond et prochain, vibrante et menaçante comme un clairon d’appel » qui sort alors des conversations, comme le dit Taine avec effroi et fascination. La spéculation devient alors une activité pleine et entière qui allie la pratique de la conversation et les actes. En juin 1789, 10 000 personnes se réunissent quotidiennement au Palais royal ; la parole est libre et les spéculations hardies. Des dizaines des brochures sont produites chaque jour, qui sont lues, déclamées devant les cafés, amplifiées, débattues, converties en motions pratiques et mises en œuvre sur le champ. Contre les conservateurs de l’ancien régime qui avaient institué la conversation comme un jeu de la pensée, agréable et sans conséquences, les gueux saccagent les salons, conversent dans les rues et mettent leurs spéculations à l’épreuve. Pour la première fois, la révolution française donne à la conversation un but et une fin : la formulation, l’expérimentation et la détermination pratique des idées.

Chaque révolution a taillé une conversation à sa mesure, définissant les idées en débat, les formes et les buts de la conversation. Contrairement à une idée reçue, la conversation est avant tout un contenu en voie de réalisation, un phénomène de la pensée, une pratique singulière collective entièrement tendue vers un but, quelque chose qui n’est pas là et est à réaliser. La forme des conversations s’invente en fonction des buts poursuivis par les conversants, et non pas le contraire. L’histoire des conversations révolutionnaires et des vérifications pratiques menées pendant les révolutions constitue l’histoire de l’humanité. A ce titre une histoire de la révolution iranienne qui la décrirait comme le puissant mouvement de la conversation iranienne reste à faire, à la suite de ce qui avait été entrepris par Adreba Solneman.

 

(Laboratoire des frondeurs, février 2012)