Nos
buts
Le but
de l’observation que nous, poignée d’individus, avons engagée
méthodiquement en janvier 2004 est de vérifier l’intensité des
actes négatifs dans le monde. Nous considérons que les actes
négatifs sont des moments historiques où s’ouvre la possibilité d’un
vaste débat dans lequel l’humanité se prendrait pour objet, même
si cette possibilité n’est que trop rarement saisie. L’émeute
telle qu’elle a été observée et définie par la Bibliothèque des
Emeutes est le type même d’événement singulier qui nous
intéresse : là où les frontières conscientes de l’individu
sont dépassées, là où s’exprime en pratique une critique de l’Etat,
des marchandises ou des professionnels de l’information. Les
émeutiers creusent dans le sol des pensées une profonde ligne de
démarcation entre les valets, ennemis du débat sur l’humanité, et
ses partisans, ennemis de ce monde. En cherchant à vérifier le
négatif dans le monde, nous cherchons donc à vérifier les
possibilités d’un débat.
Nous
soutenons la plupart des actes négatifs que nous observons, quoique
pas tous. Nous y trouvons le plus souvent une pratique et des prises
de position en accord avec nos intérêts, contre l’organisation de
ce monde. L’observation des événements négatifs est pour nous une
prise de partie subjective, l’entrée dans le débat. Notre
publicité des événements négatifs vise à intensifier le débat en
précisant les disputes, en généralisant les idées qui s’y
expriment séparément et en les critiquant si le besoin s’en fait
ressentir.
Notre
ambition est de montrer l’urgence de ce débat sur l’humanité, de
l’amplifier et d’en tracer les contours. Pour cela nous observons
la révolte dans le monde à travers le filtre des relevés de l’information
en renversant le point de vue conservateur des informateurs. C’est
en effet l’information dominante qui, malgré elle, fournit matière
à notre observation. Les événements repérés dans cette
information sont archivés dans des dossiers et des chronologies. Dans
ces documents, nous ne refaisons pas les révoltes, nous en mettons en
évidence les faits constitutifs. L’intensité, l’ardeur, l’impétuosité,
l’humour, la soudaineté, la radicalité de ces faits donnent la
mesure de la récupération pratiquée par les canaux d’information
dominants et mettent à nu l’ordre qu’ils soutiennent. Cependant,
l’inaccessibilité relative et l’éparpillement des faits dans l’information
et, dans une moindre mesure, la présentation discontinue des
événements par les informateurs empêchent toute compréhension.
Pour rétablir leur force critique, nous réunissons les faits en
donnant à voir la singularité de l’événement qu’ils composent.
Nous
nous adressons aux révoltés pour défaire l’isolement où ils sont
tenus, et dans la parole et dans l’espace, en montrant le mouvement
général dont ils font partie et ses perspectives. Nous nous
adressons à tous ceux qui, insatisfaits de l’effroyable pauvreté
de la vie, cherchent à mettre un terme à la misère quotidienne.
Mais
attention ! Par l’observation, en montrant tout à la fois l’ubiquité
et les différences qualitatives de la révolte dans le monde, se
crée une forme de connaissance, celle d’un contenu du monde issu de
la négativité. Non seulement cette pratique va directement à l’encontre
de la parole des informateurs, mais en allant activement chercher des
événements négatifs dans les tréfonds de l’information
dominante, l’observation rend visibles ces événements inconnus
dans leur ensemble pour la plupart d’entre nous.
(Janvier
2005)