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Un jeune chômeur tué et un autre blessé à Oued Smar

Les gendarmes provoquent l'émeute à El Harrach

Nadir Benseba

27-02-2004  

Décharge de Oued Smar, mercredi dernier. Il est 15 h. Rezigue Merhoum Smaïl, Boutrâa Mohamed et Bendjedou Belkacem fouillent dans les tranchées nouvellement creusées par l'APC pour déterrer des paquets de pétards. Dans le quartier de Boumati, les gens péroraient sur une importante quantité de ces explosifs saisis ces derniers jours à un importateur et enfouis dans la décharge. Les autorités doivent les détruire en la présence des représentants des forces de l'ordre et de la gendarmerie. Une aubaine pour les trois chômeurs pour se faire de l'argent de poche. Ils se rendent à la décharge. La fouille est intéressante. A peine les premières cartouches de pétards retirées qu'une voix lointaine les interpelle et les somme de quitter les lieux. « C'est la gendarmerie ! » alerte Boutrâa Mohamed. D'autres jeunes, venus de différentes localités de Gué de Constantine, de Bachdjarah, de Bourouba, de la Montagne, ont remarqué la présence des gendarmes. L'alerte est donnée pour parer à toute éventualité. « Parmi les gendarmes dépêchés, certains sont connus pour avoir des liens avec des barons de la décharge de Oued Smar », indique Rachid, un des témoins de ce tragique événement ; « une sorte de syndicat du crime qui jouit de la couverture de quelques gendarmes pour disposer à sa guise de cet endroit ». Un véritable négoce, évalué à des centaines de millions de dinars, est entretenu entre les deux parties. En colère contre cet abus d'autorité, « les pilleurs de la décharge » refusent d'obtempérer. Ils continuent de récolter les morceaux de pétards sans broncher. L'un des gendarmes, sergent-chef, selon les témoins, tire alors des coups de sommation. Les jeunes répliquent par des jets de pierres. C'est le geste de trop. Le gendarme se tourne vers un de ses collègues, lui prend sa kalachnikov puis, sans hésiter, tire une salve fatale. Rezigue Merhoum Smaïl est mortellement atteint de trois balles ; une à la nuque et les deux autres à la poitrine. Il est mort sur le coup. Il n'est pas le seul à être touché. Le corps de Boutrâa Mohamed gît à quelques mètres. Il est gravement touché à la tête. Bendjedou Belkacem hurle de douleur. Sa main est percée d'une balle. C'est la panique. « Les jeunes pilleurs de la décharge » accourent de partout. Alors que les deux véhicules de marque Toyota et Iveco des gendarmes s'apprêtent à quitter les lieux, des voix implorent l'intervention des pompiers dépêchés sur les lieux pour assister aux opérations de destruction des pétards. « Personne ne voulait s'approcher des blessés. Les pompiers avaient peur de porter secours. Le gendarme a tenté avec ses collègues de fuir n'était l'intervention des quelques policiers qui lui ont retiré son arme pour le neutraliser par la suite », raconte Rachid d'une voix entrecoupée. Ce n'est qu'à ce moment-là que les pompiers ont pu s'approcher des victimes. Sans faire dans le détail, ces derniers enveloppent les corps de Rezigue Merhoum Smail et Boutrâa Mohamed dans des sacs de semoule pour les évacuer à l'hôpital Zemirli. « On croyait que Mohamed était mort aussi, mais en vérité il a sombré dans un coma profond », évoque Samir, un autre témoin de cette tragédie qui affirme : « face à la gravité de sa blessure, les médecins ont décidé de le transférer à l'hôpital militaire de Aïn Naâdja. » Une démarche qui s'avère inutile puisque incapables de traiter les lésions crâniennes causées par le coup de feu, les médecins décident de l'évacuer vers un hôpital parisien. Cela s'est fait hier, à 3 h du matin.

 

L'émeute à El Harrach

Avant cela, la colère avait gagné dès la matinée de jeudi les quartiers d'El Harrach. Boumati, quartier où résident Rezigue Merhoum Smaïl et Boutrâa Mohamed, est sous l'emprise d'une foule de jeunes révoltés. Les rues sont barricadées. Des poteaux électriques, des panneaux de signalisation et des monticules de pierres sont dressés dans différents endroits du quartier. Les manifestants décident à 13 h d'investir le centre-ville d'El Harrach. Voitures de police, bureau de poste sont arrosés de pierres. La panique gagne les commerçants qui baissent rideau. L'affrontement était inévitable avec les forces de l'ordre postées aux différentes issues de la ville. La procession des manifestants est impressionnante. A mesure qu'elle avance, des pierres fusent de partout. Ils scandent des mots d'ordre hostiles au pouvoir : « Barakat el mamlaka ! » (à bas la royauté), « El haq, el haq, el haq ! » (vérité, vérité, vérité) » et « Houkouma erhabiya ! » (gouvernement terroriste) ». La situation est explosive. Les officiers de police présents ne savent plus où donner de la tête. Un rappel à l'ordre de tous les agents est donné. « Il faut empêcher coûte que coûte l'avancée de la foule », crie à tue-tête un des officiers. Des policiers tirent en l'air pour disperser la foule. L'image est saisissante : depuis les événements sanglants d'octobre 1988, la capitale n'a jamais vécu de pareilles scènes. Mais cela ne dissuade pas les émeutiers. Après avoir accompagné Rezigue Smaïl à sa dernière demeure, ils reviennent à la charge pour s'attaquer cette fois-ci au siège de la gendarmerie de Cinq-Maisons. Les émeutes ne durent pas longtemps puisque, affirme-t-on, les gendarmes ont tiré des coups de sommation pour disperser les jeunes révoltés.

A Boumati, face au domicile mortuaire, un autre groupe d'émeutiers discute avec les parents de Rezigue Smaïl. Ils promettent de venger leur ami. Une idée qui n'est pas du goût des proches du défunt qui prie la foule de se calmer et d'éviter la mort d'autres innocents. « C'est un pouvoir qui est sans scrupule. Même en tuant, ils veulent (les autorités) récupérer l'événement. Regardez, ils ont réservé un espace pour les officiels pour venir soi-disant compatir avec la famille de la victime », désigne Ahmed le stand d'accueil érigé la veille en face de la maison des Rezigue en plein milieu de la rue par les responsables de l'administration. Djamal Ould Abbas, ministre de l'empoi et de la solidarité nationale, qui est venu promettre des dédommagements matériels, n'a pas eu plus de dix minutes de discussion avec la famille. Idem pour Ali Benhadj qui s'est présenté quelques heures avant l'enterrement au domicile du défunt. « Il a quitté les lieux tout de suite après avoir présenté ses condoléances », indique un des cousins de la victime qui relève : « Les autorités ne se souviennent de notre existence que pour le vote ou lors des catastrophes qui dévoilent leur incapacité à gérer le pays. » Il se demande à ce propos : « Pourquoi les autorités ont décidé de détruire ces quantités de pétards à la décharge de Oued Smar, alors qu'une usine d'incinération existe à Caroubier ? » Cela dit, le communiqué de la gendarmerie, évoquant « le décès de Rezigue Merhoum Smaïl comme un fait survenu au moment de la destruction de ces explosifs », est largement abordé par les citoyens. « Voilà une attitude qui tend à maquiller un assassinat d'un jeune perpétré par un gendarme », s'indigne Ahmed un des voisins des Rezigue, avant d'ajouter sur le même ton : « La famille de la victime ne demande pas de l'argent, elle réclame que justice soit faite. » En attendant le procès du gendarme auteur du crime, les citoyens envisagent de bloquer dimanche prochain la voie ferrée pour dénoncer cet acte criminel et réclamer une réelle prise en charge de leurs doléances en matière de logement et l'amélioration des infrastructures urbaines.

Nadir Benseba