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Batna, les émeutes se poursuivent à Tkout

R. N.
15-05-2004
Les émeutes ont repris hier, en début de soirée, à Tkout, dans la wilaya de Batna. Après une journée d'accalmie, les citoyens ont réoccupé de nouveau la rue pour exiger la libération des délégués et des membres du mouvement citoyen arrêtés la veille et dans la matinée d'hier. Un rassemblement a été initié auparavant devant la daïra de Tkout pour demander la libération de ces derniers, au nombre de 17, et le départ du renfort de la gendarmerie déployé la veille au niveau de la localité de Taghit. Ce renfort a été dépêché pour parer au départ de la garde communale dont la présence est devenue indésirable à la suite de l'assassinat d'un jeune par un membre de ce corps armé.
R. N.

 

http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=24082

Liberté, 04-05-16

Émeutes à T'kout (Batna)
La caserne de la garde communale incendiée
Par Rédaction de Liberte Lu (178 fois)

Durant la journée d’hier, la localité de T’kout, dans la wilaya de Batna, a été le théâtre de violentes émeutes.
Selon les premières informations, des jeunes en furie ont déversé leur colère sur le siège de la garde communale qu’ils ont fini par incendier.
Ces émeutes ont éclaté jeudi dernier.
En effet, ce jour-là, un garde communal a assassiné, involontairement, selon les premières conclusions de l’enquête, un jeune de la localité.

 

http://www.lematin-dz.net/quotidien/lire.php?ida=19088&idc=41&taj=1&refresh=1#

La population ne veut rien dire
Tkout : silence sur la ville

N. N.
18-05-2004
De notre envoyé spécial, Nouri Nesrouche
Le calme est revenu hier à Tkout après les troubles survenus entre vendredi et dimanche. L'unité d'intervention de la gendarmerie, dépêchée sur place, est repartie vers Batna hier en fin d'après-midi croyant avoir mis fin à la révolte des jeunes de la région conduits par les animateurs du mouvement citoyen. 22 personnes ont été arrêtées lors de ces évènements et présentées lundi au procureur de la République près le parquet d'Arris en attendant leur jugement qui, selon le colonel Bourazeg, chef de l'unité de la gendarmerie, aura lieu probablement le 24 mai prochain. Hier, encore 3 personnes, qui étaient en fuite, parmi elles le délégué Ghougali Abderrazak, se sont rendues en compagnie de leurs parents au siège du groupement de Tkout pour se livrer aux autorités. Combien sont-ils encore ces jeunes qui ont pris la fuite vers la montagne ? Tout le monde l'ignore, mais on sait que le plus connu parmi les délégués du mouvement citoyen de Tkout, le jeune Selim Yezza, n'a toujours pas donné de ses nouvelles. Son père ainsi que son frère cadet ont été arrêtés, eux aussi, pour trouble à l'ordre public et incitation à l'émeute. La mère de Yezza ne sait plus à quel saint se vouer et évite de parler de ce qui s'est passé. La même attitude est observée par toute la population terrorisée par la répression qui s'est abattue sur le village. La pacification qui a mis fin aux troubles cache, en effet, un profond malaise qui ne s'explique pas encore. Pour le moment, les plus âgés, appelés aussi notables ou sages, ne cessent d'intervenir auprès des autorités et ne désespèrent pas de voir passer l'éponge sur les accusations portées contre leurs enfants. Il est vrai que plusieurs ont été relâchés depuis samedi, mais le colonel comme l'autorité judiciaire semblent intransigeants vis-à-vis de ceux connus pour étant des animateurs. L'intervention destinée au départ à l'évacuation de la route fermée vendredi par des émeutiers, qui revenaient de l'enterrement du jeune Argabi Chouaïb, assassiné la veille par des éléments de la garde communale, a tout de suite pris du nerf au fur et à mesure de l'accélération des évènements. Les gens exigeaient au début l'évacuation de la caserne de la garde communale de Taghit, chose qu'ils ont exécutée eux-mêmes en fermant cette ancienne salle de soins, transformée en caserne, et en brûlant à l'extérieur les effets vestimentaires et la literie des gardes. La colère s'est propagée à Tkout ( 10 km de Taghit), et ce fut au tour de la daïra et du siège de l'APC d'être pris d'assaut. L'émeute prenait une ampleur jamais atteinte auparavant, et les choses ne pouvaient pas aller plus mal pour nécessiter l'intervention de la gendarmerie. Une intervention musclée qui a commencé par l'arrestation d'une dizaine de personnes à Taghit et près d'une vingtaine à Tkout. Ces chiffres sont ceux livrés par le commandement de la gendarmerie. Ailleurs, personne ne pouvait donner le nombre exact des personnes arrêtées ou celles en fuite. Le colonel Bourazeg réfute, en outre, toutes les informations faisant état de mauvais traitements et d'humiliations qu'auraient subis les détenus. « Je défie quiconque parlant de torture d'apporter des preuves », nous lancera-t-il. Dans la rue, quelques langues se sont déliées pour nous faire part de dépassements. Un jeune qui a été arrêté puis relâché affirme qu'il a été lui-même tabassé, alors qu'un père de famille rencontré à l'entrée du bureau du président de l'APC nous a révélé que son fils aussi a pris des coups sévères. Le silence pèsera encore sur cette question si la torture est avérée, mais en tous les cas la population de la région n'a pas encore digéré tous les coups. Le garde communal responsable de la mort du jeune de Taghit jouit de sa liberté et continue d'exercer comme si de rien n'était. Une enquête est ouverte, nous dit-on, pour déterminer les responsabilités et la nature de l'acte mais tout ça est loin d'apaiser les esprits qui pourraient se taire pour le moment mais pas pardonner. La vie est donc revenue à Tkout après une tempête brève, mais qui pourrait bien transformer beaucoup de choses au sein de cette population de 12 000 âmes. Un débat semble être imposé déjà sur la réalité du mouvement citoyen, sa bonne volonté, sa teneur et son avenir. Derrière ces idées, on trouve les élus issus pour la majorité du RND. Beaucoup de choses donc vont se dire ces jours-ci et beaucoup se frottent les mains et se félicitent de la fin du mouvement. Vrai ou faux, nul ne peut répondre pour le moment sauf la population de Tkout. Mais celle-ci veut d'abord panser ses blessures.
N. N.

 

http://fr.allafrica.com/stories/printable/200405190130.html

Le désespoir, la rue et le suicide

La Tribune (Algiers)
OPINION
19 Mai 2004
Publié sur le web le 19 Mai 2004

By Abdelkrim Tazaroute

La rue, réceptacle de toutes les colères des laissés-pour-compte, des petites gens qui ne savent plus à quel saint se vouer lorsqu'elles se sentent victimes d'une injustice sociale, quand elles ne croisent pas sur leur chemin une oreille attentive et lorsque des portes se ferment devant elles à chaque fois qu'elles ont des doléances.

L'émeute comme mode de revendication en l'absence d'institutions locales en mesure de se conformer à leur statut, de se rapprocher et d'être à l'écoute des citoyens, l'émeute comme unique recours quand les élus locaux pensent davantage à se servir et à s'enrichir au lieu de se comporter en dignes et premiers représentants de l'Etat dans la structure de base que représente une commune. Force est de constater hélas que ce principe de base n'est pas respecté et que l'élu a tendance à ne courtiser les citoyens-électeurs que pendant l'échéance électorale, et durant le reste de son mandat, il vaque à son sport favori, l'enrichissement rapide avec tous les moyens que lui procure son mandat, conforté dans sa nouvelle mission par le règne de l'impunité. Il faudrait alors un jour demander de quelle représentativité peuvent se targuer ces élus locaux incapables de faire face à ce mouvement de révolte qui prend une ampleur de plus en plus alarmante. Comme il est étonnant de constater que ces mêmes élus du peuple ne semblent pas être interpellés par cette situation de révolte caractérisée en remettant soit en cause le mode de gestion de la commune soit la politique sociale qui fait de chaque distribution de logements sociaux, pour ne prendre que ce cas précis, des mécontents et fatalement la cause de la rébellion des citoyens.

Par conséquent, si la vision des élus diverge sur ce mode opératoire, la sagesse ou le bon sens suggère une démission du moment qu'il est impossible de contenter tout le monde par manque de moyens ou en raison des fortes attentes et des multiples brèches qu'ouvrent les paramètres de choix des futurs bénéficiaires. Sans trop s'étaler sur les raisons et les causes d'un phénomène social qui touche pratiquement l'ensemble du territoire national, le fait est là, signe qu'un profond malaise social secoue la société. Le problème de la gestion des communes s'affiche au quotidien et ce, quelle que soit l'obédience politique des élus des communes. A la décharge de ces élus, les attentes des citoyens sont tellement nombreuses qu'il est illusoire de croire qu'il est possible de les satisfaire. Cependant, ce que demandent les citoyens n'est pas tant la solution de tous leurs problèmes sociaux en un tour de main mais une structure attentive à leurs doléances. Comme il convient de rappeler que c'est le sentiment d'injustice sociale qui exacerbe plus le mécontentement que la non-prise en charge des besoins des citoyens en matière de logement et d'emploi.

Dans une société déstructurée par plus d'une décennie de crise multidimensionnelle, les repères volent en éclats et le contraste est saisissant entre une minorité qui affiche sans retenue les attributs de sa soudaine richesse et une grande majorité qui se suicide et s'immole à petit feu lorsqu'elle ne franchit pas le cap fatal. La misère est dure à supporter. La pauvreté pousse à l'extrême quand le bout du tunnel paraît infranchissable. Quand sous d'autres cieux le mouvement associatif se veut imaginatif et trouve à chaque fois la parade pour atténuer la douleur des autres, on se surprend à se demander à quoi servent toutes les associations de notre pays, qui, elles aussi, tout comme nos élus, ne se réveillent que pendant les échéances électorales. Le mouvement associatif est-il formaté en Algérie comme un appendice d'un régime ? La question mérite d'être posée à chaque fois que nous sommes interpellés par des gestes désespérés des citoyens.

 

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Le pouvoir veut mater le mouvement de protestation
Tkout : entre la misère et la répression

N. N.
19-05-2004

De notre envoyé spécial Nouri Nesrouche

Sur le CW5 en allant vers le sud de Batna, la profondeur du pays se révèle dans toute sa splendeur et sa générosité, mais aussi et surtout dans sa pauvreté insoutenable, fruit d'un oubli âgé de 42 ans. En quittant Arris, sur le chemin de Tkout, c'est aussi la dernière usine qu'on laisse derrière nous. L'agriculture se résume, quant à elle, à quelques vergers longeant l'oued d'où la population tire des récoltes de subsistance et s'y active pour tuer le temps. Avant de découvrir cette oasis en miniature, on doit d'abord franchir les gorges de Taghit, portail taillé dans la montagne rocheuse et s'ouvrant sur une citadelle naturelle qui s'allonge à perte de vue et où se sont imprimées de belles pages de l'histoire. Quelques centaines de mètres plus loin, se découvre à nous l'endroit d'où est parti le premier coup de feu de la révolution de Novembre. L'imagination est aussitôt stimulée pour reconstituer le film des événements qui allaient changer le cours de l'histoire de l'Algérie et dessiner les silhouettes des vaillants combattants dirigés par Mostefa Ben Boulaïd, partis sur tous les chemins pour semer le vent de la révolution. Ce sont pour la plupart des « hors-la-loi », comme les qualifiait l'armée coloniale, dignes descendants de Messaoud Benzelmat I et II, chefs respectifs des révoltes de 1916 et 1942 et de Mohamed-Ameziane Bendjarallah qui a conduit le premier mouvement de résistance de Tkout en 1879. L 'abri qu'utilisait La Kahina pour se retrancher dans ses batailles face à l'armée de Okba Ibn Nafaâ n'est pas loin non plus, en allant vers El Mahmal, aux frontières avec Khenchela. La révolte du mouvement citoyen de Tkout tire sans doute ses racines de cette séculaire soif de liberté face à l'angoisse de l'occupation.
Ce mouvement né il y a plus d'une année dans ces fins fonds des Aurès avait eu déjà de timides rencontres avec les mouvements revendicatifs de la Kabylie avant d'adhérer complètement à la plate-forme d'El Kseur et à l'action citoyenne qui la porte. Beaucoup parient aujourd'hui sur la fin du mouvement, voire son suicide après les récentes émeutes avortées par l'intervention musclée de la gendarmerie qui a réussi également à neutraliser la plupart de ses animateurs. Les choses ne sont pas aussi simples qu'elles paraissent, et c'est compter sans le souffle et la flamme animant cette jeunesse qui finalement n'a rien à perdre. Le silence dans lequel elle se mure désormais en dit long sur les secrets qu'elle cache. Ce qui est visible cependant, c'est ce fossé qui s'est creusé jusqu'à la rupture entre une jeunesse désuvrée qui s'éveille aux questions politiques et identitaires, d'un côté, et, d'un autre, la deuxième moitié de la population constituée des personnes âgées et des clients aisés du pouvoir. N'en déplaise aux conservateurs de Tkout, l'âarch des Béni Bouslimane craque, et ce n'est certainement pas l'élimination de quelques-uns des animateurs qui fera taire à jamais la contestation ou faire des jeunes des citoyens dociles qui répondront massivement comme des troupeaux de moutons à chaque rendez-vous électoral. Ici, le RND a succédé au FLN et cela n'a apporté aucun changement. Il est vrai que la commune a découvert enfin l'électricité, le téléphone, la télévision en couleur et bientôt le gaz naturel, mais est-ce suffisant pour rendre une vie plus digne et ouvrir des perspectives pour la majorité jeune de cette population de 12 000 habitants ? L'Etat n'a pas de projets pour Tkout, et ce n'est pas le complexe touristique que construit Chaâbani Louardi (originaire de la ville) qui va lui offrir des lendemains prospères. Avec les balcons du Roufi et les bassins romains de Chennaoura, la région recèle des atouts touristiques non négligeables, certes, mais sachant que la politique nationale dans ce secteur demeure boiteuse, il est vain donc de construire des espoirs sur ce plan pour un avenir proche. L'avenir se résume à présent à la lumière blafarde des cafés nombreux de cette ville aux formes importunes et sans attrait aucun. Sur le chemin de sortie, seul subsiste le souvenir des hommes qu'on a rencontrés parmi les rebelles. Des hommes à la grandeur semblable à celle du mont qui surplombe Tkout, le mont Hmar Khaddou. Des enfants reviennent de l'école en groupes et discutent bruyamment dans leur langue maternelle, le chaoui. Ici, cette forme de tamazight est plus que jamais vivante.
N. N.

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Le Matin

Réunion de la CADC hier
Une délégation des aârouch sera à Tkout lundi

De notre correspondant
Deux points à l'ordre du jour de la rencontre de la CADC hier à Tizi Rached : le soutien, dans l'immédiat, aux détenus du Mouvement citoyen de Tkout (Batna) et l'organisation d'une réunion de l'interwilayas des aârouch pour décider d'une action d'envergure nationale, toujours en guise de soutien pour la population de Tkout. Abordant le premier point, les délégués présents à la réunion d'hier conviendront vite de dépêcher une délégation des aârouch à Tkout pour assister au procès des 18 détenus de la localité qui comparaîtront devant le juge lundi prochain. La délégation des aârouch, qui sera composée de délégués de Tizi Ouzou, de Béjaïa, de Bouira et de Boumerdès, a également pour mission de recueillir un maximum d'informations sur l'assassinat d'Argabi Chouaïb et de proposer l'assistance du mouvement citoyen sur les plans médical, juridique et matériel. On pense déjà à venir en aide aux familles des blessés qui ne seraient pas en mesure de soigner leurs blessés et à constituer un collectif d'avocats pour assurer la défense de tous les citoyens poursuivis dans le cadre des événements de Tkout. Les délégués de la CADC ont aussi convenu d'assister matériellement les familles dont des membres sont emprisonnés. Condamnant « la répression aveugle » qui s'est abattue sur les citoyens de Tkout et la chasse aux délégués qui s'en est suivie, la CADC a décidé de diffuser une déclaration pour interpeller l'opinion publique nationale et internationale sur « les graves dérapages dont est responsable le pouvoir au moment où les décideurs multiplient les appels au dialogue dans le cadre de la réconciliation nationale ». « C'est contradictoire, et il y a lieu de s'interroger pourquoi est-ce, encore une fois, le corps de la gendarmerie qui se trouve impliqué dans une affaire d'assassinat d'un adolescent », a déclaré Belaïd Abrika qui n'écarte pas l'hypothèse d'un complot. Cela dit, les délégués de la CADC se sont mis d'accord pour venir en aide aux populations du Sud et des autres régions du pays qui se soulèvent contre la dictature, surtout que des contacts sont déjà établis avec les représentants du mouvement citoyen d'Ouargla, à en croire Belaïd Abrika. « De la Kabylie à Tkout, en passant par Ouargla, Djelfa, Lebiod Sidi Cheikh et d'autres régions encore, le combat est le même, il a comme résultat l'instauration d'un Etat de droit, d'où la nécessité de l'union », dira Mohand Iguetoulène qui insiste cependant sur « plus d'engagement de la part des représentants des aârouch ».
Après son retour de Batna, la délégation des aârouch tiendra une conférence de presse à Alger (Maison de la presse) pour rendre compte de sa mission. Belaïd Abrika a affirmé toutefois que la CADC suit de très près ce qui se passe à Batna. « Nous sommes en contact permanent avec tous les délégués de la région et nous les avons assurés de la solidarité agissante et du soutien indéfectible du mouvement », a-t-il dit.
La CADC propose, en outre, une réunion extraordinaire de l'interwilayas des aârouch ce week-end pour « organiser le plus vite possible une action à Alger », pour interpeller le pouvoir sur les dépassements de Tkout. Pour rappel, la localité de Tkout a vécu ces derniers jours de violentes émeutes marquées par une vague de répression d'une rare violence qui s'est soldée par des centaines de blessés et de détenus parmi les citoyens révoltés. Des événements déclenchés par l'assassinat par un garde communal du jeune Argabi, 19 ans.
Kamel Omar

21-05-2004

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Alors que le ministre de l'Intérieur estime que c'est une manipulation
Tkout isolé

Abla Chérif
22-05-2004

Les délégués du mouvement citoyen des Aurès ont réagi hier aux propos tenus ce jeudi par le ministre de l'Intérieur au sujet des évènements de Tkout en déclarant qu'il s'agissait d'une « grossière manipulation visant à tronquer les faits tout comme avec Guermah Massinissa ». « Il a commis une bourde de plus, une erreur grave qui peut entraîner de lourdes conséquences », assènent Salim Aïssi et Soltani Brahim, deux représentants de ce mouvement en fuite comme le reste des membres de l'organisation depuis les évènements qui ont éclaté le week-end dernier. Interrogé par les journalistes en marge des travaux de l'APN, Yazid Zerhouni a justifié la mort du jeune Argabi Chouaïb en affirmant qu'il se trouvait dans une zone où avait été dressé un barrage. Une explication qui ne justifie en rien cet assassinat, affirment les deux délégués en rappelant que la version des faits, tels qu'ils se sont réellement déroulés, a été rapportée par un ami de la victime qui se trouvait sur les lieux au moment du drame. Selon son témoignage, Argabi Chouaïb avait décliné son identité à la demande du garde communal qui était à ce moment en embuscade. « Vous savez, dans un village tout le monde le connaît mais cela ne l'a pas empêché d'ouvrir le feu en sa direction et de le tuer. » « Zerhouni n'a, par contre, pas informé l'opinion publique du sort réservé à ce garde communal. A-t-il été arrêté ? Va-t-il être jugé ? Les propos du ministre sont graves, je le répète, même s'il a estimé que la révolte de la population était compréhensible. Sa déclaration est d'ailleurs très ambiguë. » Ambiguë dans la mesure où le ministre de l'intérieur a fourni sa réponse aux journalistes en enchaînant sur les résultats de la commission gouvernementale chargée d'enquêter au sujet des émeutes qui secouent le pays, laquelle, dit-il, a relevé que « dans plusieurs cas, les manifestations des citoyens étaient manipulées par des personnes bien déterminées. Plusieurs d'entre elles ont d'ailleurs été mises sous mandat de dépôt ». Ces propos se sont vérifiés sur le terrain, y compris pour Tkout où des mandats d'arrêt ont été lancés ces derniers jours contre les principaux animateurs du mouvement citoyen des Aurès. Au lieu de s'apaiser, la tension s'accentue dans ce petit village où la répression s'est de nouveau abattue ce vendredi en début de soirée. Selon les informations qui nous sont parvenues, les gendarmes ont, en effet, organisé une véritable descente punitive visant apparemment à maintenir la terreur qui s'est abattue sur la population. Les gendarmes ont investi les rues en début de soirée, tabassant et humiliant tous les jeunes qui se trouvaient à l'extérieur pour les contraindre à rejoindre leur domicile. De facto, une sorte de couvre-feu a été instauré dans le village déjà vidé d'une bonne partie de ses habitants en fuite depuis l'éclatement des évènements. Plus de 65 jeunes, doit-on le rappeler, se trouvent depuis près d'une semaine dans les montagnes après la vague d'arrestations lancée par la gendarmerie suite à la révolte qui s'est déclenchée après l'assassinat d'Argabi Chouaïb. La chasse à l'homme n'a pas cessé depuis puisque un autre délégué du mouvement citoyen a fait l'objet d'une arrestation hier soir. Le village, complètement encerclé par les forces de l'ordre depuis plusieurs jours déjà, était privé de liaisons téléphoniques durant la journée d'hier. C'est dans ce contexte que le procès de Salim Yezza, le principal animateur du mouvement citoyen, actuellement en fuite, se déroulera jeudi.
Abla Chérif

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Actualité (Edition du 23/5/2004)

Notre reporter c'es rendu sur les lieux

Vérités sur l'affaire de Tkout
Par Djamel Alilat Lu (1302 fois)

Pendant une semaine, la région de Tkout, au sud de Batna, qui passe pour un bastion du mouvement des archs, a vécu des évènements douloureux suite à la mort d’un jeune homme de Taghit, tué par un garde communal.

La population, qui n’a fait que réclamer justice, a subi une répression féroce. D’autant plus féroce qu’elle avait eu lieu à huis clos, à l’abri des regards indiscrets. Tkout est loin de tout. Ce n’est pas la Kabylie aux portes d’Alger, où le moindre pneu brûlé peut se retrouver à la une des journaux. Ici, quand on porte une arme et un uniforme, on peut tuer puis réprimer tout à son aise. Que s’est-il exactement passé ?

genèse de l’affaire
Tout commence par un incident mineur au lycée de Tkout. Un lycéen, fiché pour son appartenance au mouvement des archs, est vivement rudoyé par les membres de l’administration avant d’être renvoyé de l’établissement sans motif apparent. Mécontents du traitement subi par leur ami, des jeunes de la localité entrent alors de force au lycée pour demander des explications au proviseur sur ce qu’ils considèrent comme un abus d’autorité et une injustice flagrante. Celui-ci ne les reçoit pas. De suite, il fait un rapport détaillé à sa tutelle et convoque l’association des parents d’élèves. Les parents se présentent et essaient de raisonner leurs enfants, leur demandant de s’occuper un peu plus de leurs études et un peu moins du mouvement des archs. L’administration du lycée leur fait signer une feuille de présence. Elle va servir à d’autres fins. En fait, à leur insu, ils venaient de parapher une dénonciation des agissements des lycéens impliqués dans le mouvement des archs. Malaise. L’atmosphère à Tkout devient sourde de révolte contenue. C’est dans ce climat délétère qu’intervient, quelques jours après, un incident aussi grave que tragique.
Un jeune de Taghit est abattu à bout portant par la garde communale de son propre village. À l’origine du drame : un menu larcin d’une affligeante banalité. Deux jeunes gens, Chouaïb Argabi et son ami, Ali Remili, chapardent quelques denrées alimentaires d’une épicerie de Ghassira. Ils vont cacher leur maigre butin dans une petite palmeraie à Taghit même en se promettant de revenir la nuit venue le récupérer en toute quiétude. À 22 heures, les gardes communaux voient des mouvements suspects du haut de leur guérite.
Ils ouvrent le feu sans sommation, sans trop se poser de questions. Chouaïb Argabi est mortellement touché. Son ami est indemne. Partie de Taghit, la nouvelle de la bavure se répand dans les villages auressiens comme une traînée de poudre. Le lendemain matin, au centre de Tkout, Selim Yezza, l’un des délégués les plus en vue du mouvement des archs, anime un meeting où les jeunes viennent en force. Il appelle à la solidarité avec leurs camarades de Taghit. Aussitôt, des dizaines de jeunes prennent la direction de cette localité. Arrivés là-bas, ils ferment la route à la circulation et exigent le départ des gardes communaux. Un officier de la gendarmerie d’Arris arrive sur les lieux et tente de parlementer. Le fait que le meurtrier soit d’Arris et la victime de Taghit n’arrange guère les choses.
À ce niveau, d’autres considérations entrent en jeu. En effet, si le meurtrier appartient au arch des Ath Daoud, la victime, elle, appartient au arch des Beni Bouslimane et entre les deux tribus, il y a des contentieux vieux de plusieurs années, voire des siècles. Des archs, le risque est grand de glisser directement à l’arouchia.
à l’arrivée des militaires d’Arris, les gardes communaux sont désarmés et cantonnés dans une mosquée tenue sous bonne garde. Vers 19 heures, les jeunes de Tkout, Taghit et Ghassira investissent la petite caserne des gardes communaux et sortent tout ce qui s’y trouve sur la chaussée avant d’y mettre le feu. La route restera fermée jusqu’à 4 heures du matin. Les militaires n’interviennent que pour calmer les esprits. La route est ouverte, mais pas pour longtemps. Vers 13 heures, le commandant du secteur militaire arrive, accompagné d’un colonel. Cet officier supérieur engueule publiquement son capitaine, lui reprochant son laxisme, mais il parlemente avec Selim Yezza. Mais le ton monte rapidement entre le colonel et le délégué des archs qui n’échangent pas que des amabilités.
Très rapidement, “les gardes mobiles”, tels que les désignent les jeunes, sont appelés en renfort. Ce sont ceux de Aïn Yagout et ils ont acquis leurs galons dans la répression féroce des évènements de Kabylie. Leur réputation n’est plus à faire. Un militant du RND avertit Selim Yezza et son ami, le dénommé Abderrezak, qu’ils sont désignés comme étant les meneurs de la contestation et qu’ils sont activement recherchés. Ils ont juste le temps de fuir à travers l’oued Labiod, quelques minutes avant l’arrivée des renforts. Les forces anti-émeutes, une fois sur place, ne font pas dans la dentelle. Elles s’en donnent à cœur joie. Arrestations, courses poursuites, passages à tabac et insultes en tous genres sont au programme. Des dizaines de jeunes sont arrêtés et enfermés, soit à Tkout, soit à Ghassira. Vers 19 heures, ils font leur apparition à Tkout, à l’heure de la prière. Ils tabassent et arrosent copieusement d’injures tous ceux qu’ils trouvent sur leur chemin, y compris ceux qui sortent de la mosquée. Des domiciles sont perquisitionnés. Violemment. Beaucoup de jeunes sont arrêtés alors que d’autres ne trouvent leur salut que dans la fuite éperdue à travers les champs en direction du maquis tout proche. Dans la caserne de gendarmerie se déroule un autre rituel. Chaque nouvel arrivant a droit au même régime : on lui enlève ses chaussures et sa ceinture avant le passage à tabac réglementaire.
Le lendemain matin, vers 10 heures, la chasse aux militants des archs repart de plus belle. Dans la matinée, Athmani Nourredine, dit Nounou, est arrêté, son ami Toufik Khellafi arrive à s’enfuir. Le soir, un quartier de Tkout, Tigheza, est investi par les forces anti-émeutes. Une autre fournée de jeunes rejoient les autres camarades qui croupissent déjà dans la caserne de gendarmerie. Ils ont droit au même “traitement de faveur” fait de bastonnades et d’insultes. Un militant du MDS est arrêté chez lui. Il a osé afficher un communiqué de son parti pourtant dûment agréé. Tout le matériel de son cybercafé est saisi. Aucune nouvelle n’a émané de lui jusqu’à présent. Mardi, les jeunes de Tkout s’enfuient du village, chacun selon ses moyens. Destination Alger, Batna, Biskra ou ailleurs. La répression féroce qui s’abat sur eux les force à la clandestinité. Dans leur élan, les forces répressives ont arrêté à tour de bras y compris d’anciens militants qui ont raccroché les gants depuis dix ans et plus.

RÈGLEMENT DE COMPTE OU BAVURE ?
La version que nous avons recueillie auprès des parents et des voisins de Chouaïb Argabi à Taghit même apporte d’autres éclairages. Elle corrobore la thèse d’un assassinat ciblé et prémédité plutôt que celle d’une bavure. Chouaïb a 19 ans et il est chômeur comme la plupart des jeunes de Taghit. Son père est un vieux fellah, pauvre mais digne. Avec son ami Ali Remili, Chouaïb a chapardé quelques gâteaux et des jus de fruit d’une boutique sise à Ghassira qu’ils vont ensuite planquer dans un bosquet situé à mi-chemin entre la maison des Argabi et le cantonnement de la garde communale. L’endroit est une source en contrebas de la route. Dans la journée, une femme, qui va y puiser de l’eau, trouve un sachet noir contenant des produits alimentaires. Elle informe son mari qui va de suite informer les gardes communaux et du larcin et de son auteur supposé en désignant Chouaïb.
Vers 20 heures, dans la soirée du jeudi, Chouaïb sort de la maison et va s’acheter des cigarettes au centre du village en compagnie de son ami. Sur le chemin du retour, ils trouvent deux gardes communaux adossés au mur de leur caserne. Trente mètres plus loin, ils descendent vers le lieu de leur cachette. Un bosquet de lauriers roses d’où émergent deux palmiers. C’est également une source très fréquentée par les villageois qui viennent y puiser de l’eau. Deux sentiers caillouteux y mènent. Sur place, trois gardes communaux leur ont tendu une souricière. En fait, une véritable embuscade. Il est 20h30, il fait nuit, mais trois puissants projecteurs convergent leur lumière vers la scène où va se dérouler le drame. Un garde tire sur Chouaïb à bout portant. Sans sommation. À trois ou quatre mètres de distance, il lui loge 8 balles dans la tête et dans le thorax. Sur les lieux que nous avons visités, une très grosse flaque de sang coagulé témoigne de l’endroit où il est tombé. Son ami, lui, est indemne mais il est en état de choc. Des villageois affirment avoir entendu une voix rageuse qui criait : “Amar, arrête de tirer !”. Et le dénommé Amar de répondre : “C’est bien Chouaïb qui est mort, n’est-ce pas ?”. C’est l’un de ses collègues qui a arrêté le tireur en levant le canon de son arme vers le ciel et en lui criant :  “Habess ya âmar !”.
Pour chaque sortie sur le terrain ou embuscade, les gardes doivent avoir l’aval des militaires. C’est le règlement. Dans ce cas précis, aucune autorisation n’a été demandée. De plus, quand il s’agit de tendre une embuscade à  des terroristes, on n’y va pas à trois alors que la caserne de Taghit compte, aux dires des habitants, 45 éléments. Tout indique qu’il s’agit d’un règlement de compte prémédité. Après avoir ouvert le feu, les gardes communaux ont laissé le mort sur place en écartant les curieux et sont allés chercher les militaires cantonnés à Tighanimine. À 1 heure du matin, après avoir fermé la route à la circulation, la dépouille du jeune Chouaïb est emmenée à la morgue d’Arris puis à Batna. Le lendemain matin, près de 500 jeunes des villages environnants barricadent la route et réclament justice aux autorités qui sont arrivées sur place.
Il y a là le chef de daïra de Tkout et le capitaine de la gendarmerie d’Arris. Un ultimatum qui court de midi jusqu’à 19 heures leur est donné pour faire partir les gardes communaux. L’ultimatum a expiré et aucune réponse ne parvient des autorités. C’est le silence radio. Les jeunes investissent alors le cantonnement des gardes communaux et sortent leurs effets sur la chaussée. Leur colère augmente d’un cran lorsqu’ils découvrent du vin, des préservatifs et des “cachets”. À ce stade, il convient de dire que les gardes communaux n’étaient déjà pas en odeur de sainteté. Depuis leur arrivée à Taghit voilà deux ans, la population les tient à l’écart. Ils ont occupé le seul dispensaire de santé de la localité ; ce qui n’est pas fait pour leur attirer des sympathies. De plus, on leur reproche des mœurs incompatibles avec les traditions séculaires d’une région où la “horma” n’est pas un vain mot. Les villageois que nous avons rencontrés nous disent qu’entre Chouaïb et celui qui allait devenir son meurtrier, il y avait depuis bien longtemps un différend relatif au comportement dénué de toute moralité du garde. Autre point de discorde, une guérite a été élevée sur le toit de la mosquée qui n’est séparée du cantonnement de la garde que par la route. Ce poste de garde sur un lieu de culte ne pose pas de problème en lui-même, mais le comportement des militaires qui l’occupent est vécu par tous comme un sacrilège.
Le commandant du secteur militaire, à son arrivée, reconnaît la bavure. Trois gardes avaient déjà pris la fuite en emportant leurs armes. Des camions emmènent le reste du groupe à Ghouffi. Les jeunes croient le problème en voie d’être réglé. Ils vont rapidement déchanter à l’arrivée des forces anti-émeutes de Aïn Yagout. C’est une répression sans merci qui va s’ensuivre. L’enterrement du jeune Chouaïb a lieu samedi vers le milieu de l’après-midi. Il a fallu un véritable parcours du combattant pour faire sortir la dépouille de l’hôpital de Batna. Suprême raffinement de cruauté pour une famille touchée dans sa chair, il a fallu graisser la patte du laveur de mort, 400 DA, pour qu’il fasse son office.
Une foule nombreuse a assisté à l’inhumation. L’emblème national recouvrait le cercueil. Un emblème arraché de la caserne des gardes communaux. Pas une seule autorité civile ou militaire n’a montré le bout de son nez. Elles sont venues le mardi suivant pour réclamer le paiement des quittances de la Sonelgaz en menaçant de couper l’électricité à tous. Pour preuve, à Taghit, un jeune garçon qui nous avait pris pour un agent de la Sonelgaz se présente à nous pour s’enquérir des modalités de paiement. À l’heure actuelle, des dizaines de jeunes croupissent encore dans les prisons d’Arris ou d’ailleurs. Leur procès est fixé au mardi 24 mai, bien avant celui du meurtrier.
Une célérité étonnante de la part d’autorités qui s’empressent de juger les conséquences avant les causes et qui démontre une volonté de briser une contestation populaire avant qu’elle ne prenne d’autres proportions. Les habitants de Taghit nous racontent leur colère, leur dénuement et leur pauvreté avec des mots empreints de beaucoup de dignité. Nous prenons congé d’eux en leur promettant de revenir pour un reportage sur leurs dures conditions de vie. Tout au long de la vallée de oued Labiod, Ighzer Amellal comme on l’appelle ici, nous ne voyons que des vieux accroupis par terre, fumant le “aârâr” et des femmes qui gardent les chèvres ou qui remontent des champs en ployant sous le fardeau de leurs fagots de bois ou d’herbes sèches. À Batna, où nous avons vainement essayé d’entrer en contact avec des militants entrés dans la clandestinité, on organise des portes ouvertes sur la Gendarmerie nationale, en ce jeudi printanier. On ne peut s’empêcher de penser que si à Batna les portes sont ouvertes sur des gendarmes qui ne font que leur devoir, à Arris, Tkout et Taghit, elles restent fermées sur des citoyens qui ne réclament que leurs droits.

D. A

 

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Le procès de 22 personnes détenues à Tkout a eu lieu hier
De lourdes peines prononcées

A. C.

24-05-2004

De lourdes peines ont été prononcées hier par le tribunal d'Arris à l'encontre du premier groupe de personnes arrêtées lors des évènements de Tkout. Des peines trop importantes, ont estimé les avocats des prévenus au regard de la légèreté des accusations dont ils ont fait l'objet. Vingt-deux de ces jeunes ont été condamnés à des peines allant de une année à trois mois de prison ferme. Selon les chefs d'inculpation qui pesaient sur eux, ils ont été divisés en deux groupes. Le premier composé de dix-huit personnes, dont le frère de Salim Yezza, principal animateur du mouvement citoyen des Aurès et accusé de trouble à l'ordre public, a écopé de peines allant de huit à six mois de prison et de vingt millions de centimes d'amende. Le frère de Salim Yezza, arrêté chez lui en compagnie de son père toujours détenu (il ne sera relâché qu'après la reddition de son fils), a été, lui, condamné à trois mois de prison ferme. Le second groupe, composé de quatre personnes et accusé, entre autres, de coups et blessures et d'outrage à corps constitués, a enregistré les peines les plus importantes : de huit mois à une année de prison ferme. Les détenus avaient pourtant été disculpés du principal chef d'accusation qui pesait sur eux, à savoir l'utilisation d'armes blanches. Le procès, lui, s'est déroulé dans une ambiance très tendue au tribunal d'Arris où se sont regroupées de nombreuses personnes, des proches et des amis des détenus, surtout, privés du soutien et de la mobilisation de la population et de toute la délégation des aârouch de Kabylie qui avait prévu de se déplacer à cet effet. Belaïd Abrika et plusieurs de ses compagnons avaient été refoulés la veille par un barrage dressé sur la route de Batna. Quelques membres de cette délégation ont pu cependant se faufiler et assister au procès. Les citoyens de Tkout qui désiraient, quant à eux, se déplacer sur les lieux n'ont pas effectué le trajet en raison des renforts qui se sont installés à la limite de la ville. Une ville où continue à sévir un climat de terreur généré par une répression féroce des gendarmes suite aux émeutes qui ont éclaté après l'assassinat du jeune Argabi Chouaïb par un garde communal. Rappelons, enfin, qu'une soixantaine de personnes, parmi lesquelles de nombreux délégués du mouvement citoyen des Aurès, détenues dans la prison d'Arris dans des conditions effroyables, sera prochainement jugée.
A. C.

 

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Un jeune homme de Tkout témoigne
« Comment j'ai été torturé »

Les langues commencent à se délier à Tkout. Un pas timide, mais résolu a été franchi par certains de ses habitants pour dévoiler au grand jour les pratiques immorales, inconcevables auxquelles ont été soumis des détenus après leur arrestation par les gendarmes suite aux émeutes qui ont éclaté, il y a près de dix jours, après l'assassinat de l'un des leurs, Argabi Chouaïb, sur lequel un garde communal avait ouvert le feu. Des victimes de ces sévices avec lesquelles nous avons pu prendre attache ont décidé de parler. En raison de la situation qui prévaut à Tkout, les témoignages sont livrés sans les noms de leurs auteurs. La plupart d'entre eux ne dépassent pas la vingtaine. La majorité est mineure. Beaucoup ont hésité avant de décider à se confier à leurs amis d'abord, puis aux délégués du mouvement citoyen des Aurès par peur que les responsables de leur situation récidivent, par honte ensuite que leurs proches, leur famille n'apprennent ce qui leur est arrivé.
Encore sous le choc, leur témoignage est livré par phrases entrecoupées, des mots, parfois même des syllabes pour indiquer le début d'un terme qu'ils osent à peine prononcer. « Plusieurs d'entre nous ont été embarqués de chez eux. Il faisait nuit, la ville grondait encore de colère, de dégoût, du bruit des bottes des gendarmes qui pourchassaient les manifestants. Une chasse qui se déroulait tant à l'extérieur que dans les maisons. C'est à l'intérieur de nos maisons que les gendarmes nous ont pris. Ils m'ont emmené avec d'autres personnes, une dizaine environ Ils nous ont conduits chez eux (dans les locaux de la gendarmerie) Ils m'ont donné des gifles, tabassé, voilà » La voix du jeune homme, 21 ans, s'enroue. Il refuse d'en dire plus pour l'instant. « Et les autres, que leur est-il arrivé ? » « Comme moi », répond-t-il sans sembler vouloir donner d'autres indications. Un délégué du mouvement citoyen des Aurès se tient près de lui. Il entreprend de le persuader de poursuivre son récit pour que tous les algériens puissent enfin savoir ce qui s'est passé à Tkout. « Ils ont pris tout le groupe et nous ont alignés après nous avoir déshabillés. Ils nous ont demandé de nous pencher vers l'avant » Le récit s'arrête de nouveau. Il semble avoir du mal à se remémorer les images de ce qu'il a vécu. Les mots ont du mal à sortir. « Vous m'avez compris, je n'ai pas besoin de vous expliquer ce qui s'est passé ensuite. » Le délégué du mouvement veut le détendre : « Raconte-nous ce que tu as vu. » « Ils ont tabassé tout le monde, ils ont torturé » Le jeune préfère arrêter son récit. Un malaise visible l'envahit. Un autre prend le relais.
« La plupart ont été sodomisés, voilà la vérité. Beaucoup ont d'ailleurs énormément de mal à reprendre le dessus. Mais la torture ne s'est pas arrêtée là. Les jeunes arrivaient au fur et à mesure. Les gendarmes les ont déshabillés et obligés à s'agenouiller. "A genoux, faites la prière", lançaient-ils. Une fois à terre, ils se sont mis à les frapper avec férocité à l'aide de leur matraque. Ils avaient un discours de haine envers nous. Ils nous ont insultés, humiliés. La phrase qui revenait le plus souvent était : "Vous détestez le régime et bien voilà." S'ensuivaient alors des coups terribles portés sur tout le corps. Certains ont eu les membres fracassés. Les gendarmes voyaient bien que le bras de l'un d'entre nous était complètement flasque, mais ils se sont acharnés jusqu'à lui casser complètement l'os. Le malheureux hurlait de douleur. Ils l'ont laissé passer la nuit sur place puis l'ont relâché le lendemain. » Relâché à titre de mineur comme la plupart des jeunes embarqués cette nuit-là. « Certains sont sortis pratiquement défigurés, d'autres étaient complètement balafrés, le reste avait du mal à marcher. » Il marque un temps d'arrêt. « Vous savez, ce qui nous a fait le plus mal, ce sont ces menaces proférées par les gendarmes selon lesquelles ils s'apprêtaient à aller violer nos mères et nos surs. "Il n'y a plus d'hommes en ville maintenant, disaient-ils. vous allez voir ce que nous allons faire à vos femmes." Nous ne connaissons pas la vérité sur la suite réservée à ces menaces, les femmes ont peur de parler. »
Ce sont à ces mineurs que l'opinion doit les informations concernant les terribles conditions dans lesquelles ont été détenues la soixantaine de personnes, parmi lesquelles une majorité de délégués du mouvement citoyen. Et c'est une nouvelle fois grâce à eux que le silence a été rompu sur les pratiques auxquelles se livrent les forces de l'ordre de Tkout pour venir à bout d'une contestation qui n'est pas près d'en finir.
Abla Chérif

25-05-2004

 

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La Nouvelle République

lundi 31 Mai 2004

Conclave interwilayas tenu ce week-end à Sidi Aïch
Sit-in, ce lundi, à Arris et la réponse à l’offre de dialogue renvoyée à plus tard

Le conclave extraordinaire de l’interwilayas des ârchs de Kabylie qui s’est tenu ce week-end dans un établissement scolaire de la localité de Sidi-Aïch, relevant de la wilaya de Béjaïa, n’a pas tenu toutes ses promesses. En effet, prévu initialement pour donner une réponse définitive à l’offre de dialogue lancée par le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia à partir des tribunes des hémicycles de l’Apn et du Sénat, les animateurs des 9 délégations participantes n’ont finalement pas été jusqu’à épuisement de ce point important à l’ordre du jour. Il faut dire que les divergences entre les délégations étaient de taille sur cette question cruciale. Hormis les délégués de la CICB et du CCCWB qui insistaient sur la nécessité de donner une suite aux offres incessantes du pouvoir de reprise du dialogue, toutes les autres délégations ont préféré temporiser et jouer la prudence.
La majorité des participants voulaient faire durer le suspense au moment où la Kabylie souffre le martyre depuis trois ans. Elle souffre sur un double plan, aussi bien économique que social. Les partisans de la «prudence» ont motivé leur position par le fait que le pouvoir n’a pas donné de signaux forts pour une reprise de dialogue afin de dénouer la crise de Kabylie à travers la mise en œuvre de la plate-forme d’El Kseur. Ils en veulent aussi beaucoup au chef de l’exécutif, Ahmed Ouyahia, qui n’a pas encore procédé à l’application du protocole d’accord cosigné, relatif à la prise en charge des incidences de la crise survenue en avril 2001. Plusieurs d’entre eux réitèrent également leur exigence de la satisfaction du point huit (8) de la plate-forme d’El-Kseur avant toute éventuelle prise de langue avec le pouvoir.
Et devant l’impossibilité de trouver un consensus, les animateurs des ârchs ont préféré renvoyer la réponse à l’offre de dialogue d’Ouyahia au prochain conclave interwilayas dont la date n’est pas encore arrêtée. L’autre point, autour duquel les conclavistes ont aussi beaucoup palabré, était la situation de crise survenue ces derniers quinze jours à T’kout, dans la wilaya de Batna. Les délégués ont tous exprimé leur solidarité avec les manifestants et les détenus de cette région chaouie, comme ils ont dénoncé vigoureusement la répression qui s’est abattue sur les révoltés lors des émeutes qui ont éclaté après l’assassinat du jeune Argabi Chouaïb par un élément de la garde communale de la localité.  Les délégués des ârchs présents au regroupement ont décidé d’une action de solidarité et de soutien avec les manifestants. Une délégation a été désignée pour se rendre, ce lundi, à Arris pour observer un sit-in devant le tribunal où six manifestants de T’kout devront comparaître. La délégation devra également rencontrer les familles de la victime et des détenus pour leur exprimer le soutien et la solidarité des ârchs. En fait, pratiquement rien de nouveau n’est sorti de ce conclave sur lequel les populations de Kabylie ont fondé le grand espoir de voir la crise trouver son issue. A noter enfin que ce conclave interwilayas a regroupé 9 délégations venues de Bouira, de Boumerdès, de Bordj Bou-Arréridj, de Batna, d’Alger, de Sétif, de Tizi Ouzou, de  Ouargla qui participe pour la première fois, et enfin Béjaïa où la rencontre a eu lieu.

29-05-2004

A. Z.

 

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Alors que les détenus de T'kout entament une grève de la faim
Marche des mères de T'kout aujourd'hui

De notre envoyé spécial à T'kout Nouri Nesrouche
Les prisonniers condamnés par la justice suite aux émeutes de T'kout ont entamé hier une grève de la faim. L'information est rapportée par les parents qui ont rendu visite à leurs enfants incarcérés à la prison de Batna, mais sans donner de précisions quant aux motifs exacts de cette décision si ce n'est le rejet et du verdict et de la conduite du procès. Il s'agit des 21 personnes jugées le 24 mai dernier par le tribunal d'Arris et qui ont écopé de peines allant de trois à douze mois de prison ferme pour délit d'attroupement et de destruction de biens d'autrui. Un procès qui s'est déroulé trop vite et qui s'apparente beaucoup plus à une tentative menée par le Pouvoir de punir la sève du mouvement citoyen de T'kout et fournir un exemple dissuasif pour l'ensemble des mouvements de protestation qui éclatent un peu partout. La grève de la faim des prisonniers de T'kout est un nouvel épisode dans le feuilleton des événements qui secouent la région depuis deux semaines et devra booster la résistance qui s'organise. L'inquiétude a changé de camp, en effet, à T'kout. Au moment où la population reprend confiance et se regroupe autour du mouvement citoyen, le maire et ses relais ainsi que les gendarmes ont été, quant à eux, déstabilisés par la réussite de la grève générale décrétée lundi dernier. Pendant que le procès des six jeunes inculpés dans les événements se déroulait à Arris, les forces antiémeute de la gendarmerie avaient pris position dans la ville. Elles avaient essayé par la suite de convaincre les commerçants de reprendre leurs activités, en vain. Ceux-ci ont observé la grève toute la journée et même le soir, à l'exception d'un des cafés de la rue principale appelée El Bordj. « Le café des aârouch » - rebaptisé ainsi parce qu'il accueillait les rencontres des membres de la Coordination du mouvement citoyen de T'kout - avait fini par rouvrir ses portes vers 14 h sous la pression des gendarmes, sans toutefois servir une clientèle de surcroît inexistante. Hier encore, et faute de soulèvement à réprimer, les gendarmes ont passé leur temps à arracher des murs les caricatures tournant en dérision la machine répressive du Pouvoir ainsi que les écrits du mouvement et le portrait de Selim Yezza, son principal animateur. « Les élus » de l'APC, dominée par le RND, et leurs alliés parmi les notables et les membres aisés de la famille révolutionnaire se sont fait très discrets ces deux derniers jours. Ils se rendent compte qu'ils se sont lourdement trompés dans leurs pronostics sur le sort du mouvement et se sont par la suite confondus en soutenant la gendarmerie à travers un communiqué signé par le maire qui infirme le fait que des détenus aient subi des actes de violence et de torture. Les événements se sont précipités dans ce sens pour creuser davantage le fossé qui sépare les sous-traitants du Pouvoir d'une population qui se reconnaît chaque jour un peu plus dans la cause que défendent les enfants de T'kout. Leurs parents ont compris beaucoup de choses. Ce qui s'est passé a dévoilé le véritable visage d'un Pouvoir arrogant et haggar, alors que le discours traitant les aârouch de Kabylie comme une bande de casseurs vient d'être démystifié. C'est pour cela aussi que le combat continue et nous apprenons par le biais d'un délégué que les femmes de T'kout vont marcher aujourd'hui à travers le centre-ville pour manifester pour la première fois leur soutien au mouvement et dénoncer la hogra du Pouvoir.
N. N.

 

http://www.lexpressiondz.com/T20040603/ZA10-2.htm

LES AURÈS DANS LA TOURMENTE DU RADICALISME
les Chaouis réclament...
De notre envoyé spécial S.M. Haouili - 03 juin 2004 - Page : 6

Fort longtemps bridés et enchaînés, les Aurès passent à la révolte.

La torpeur continue d’envahir l’atmosphère des localités des Aurès-Nementchas. «La crise qui perdure dans cette vaste contrée de l’est du pays a au moins le mérite de réhabiliter, en le faisant émerger, un débat d’idées sans précédent dans son histoire. L’idée, aujourd’hui, n’est pas que pure abstraction puisqu’elle a un prolongement pragmatique immédiat : elle se paie chez nous, malheureusement de sa vie», dira le Dr.Dourari.
Dans la région des Aurès-Nementchas, plus précisément à Tkout et Taghit, la jeunesse s’est élevée contre les autorités locales et réclame sa part du «gâteau» qui n’est autre que la richesse de cette «mère Algérie». A cette manifestation violente, la réponse est des plus virulentes de la part des forces répressives dépêchées sur le terrain des émeutes.
Beaucoup de jeunes se sont retrouvés devant les tribunaux et les peines prononcées n’ont fait qu’accentuer le déphasage déjà existant entre ces masses populaires paupérisées et cette «classe» d’administrateurs et de notables qui s’enrichissent chaque jour. Quelques-uns de ces jeunes montrés du doigt ont vite pris «le maquis» pour devenir ces hors-la-loi. Des recherches sont en cours pour les retrouver et les traduire en justice.
D’autres, par contre, moins chanceux dirions-nous, ont connu un autre sort. Des condamnations à des années fermes ont été les verdicts prononcés à leur encontre. Une parodie, digne des années où la cour de Constantine, en ce temps colonial, a condamné par contumace ce grand révolutionnaire de cette localité qui n’est autre que Mustapha Ben-Boulaïd. L’Histoire est-elle en train de se répéter sauf que cette fois, les acteurs sont tous des Algériens.
Ainsi, l’image d’une justice - injuste dirions-nous - offre en filigrane «l’image d’une justice dans sa perversité» qui veut dévaloriser le citoyen, banaliser les assassinats, admettre la répression, absoudre les auteurs «parce qu’ils représentent l’Etat, normaliser l’esprit d’une démarche dictatoriale» et réduire par là, au silence, «toute opposition». Dans ce contexte bien précis, les événements vécus par ces deux localités des Aurès résument dans une large mesure, les contradictions sociales qui minent notre société.
L’évolution de celle-ci est directement liée aux changements survenus sur la scène politique et dont les implications drainent, un énorme déphasage entre la «société civile» et la «société politique». Les Aurès, la Kabylie , les régions de Ghardaïa, de Ouargla, Djelfa... pour ne citer que celles-là, demandent un certain regard nouveau, quant à la gestion des affaires publiques. C’est en fait, toute la politique poursuivie jusqu’à ce jour qu’il faudrait «repenser» et «revoir».
Le temps de «la vache à traire», «de l’intervention du Trésor public» arrive à sa fin et de nouvelles donnes sont apparues pour une gestion des plus rationnelles de l’économique. Ce dernier demeure le moteur de l’Histoire et c’est précisément dans cette sphère que «les batailles de tranchées» se livrent.
Mais au-delà de cette «crise multiforme» mais «réelle», car elle révèle au grand jour toutes les tares du système, les autorités du pays sont sur place pour constater de visu et dresser un bilan exhaustif des lieux. L’information véhiculée jusque-là, tend plus à amplifier ou à minimiser l’événement, selon les bords défendus. Le chef du gouvernement reste la personnalité la «plus pragmatique» et l’envoi d’une commission d’enquête sur le terrain aura à clarifier toute la situation.

On est des oubliés...
A 120 km du chef-lieu de wilaya, Tkout et Taghit affrontent ces hivers rigoureux et cet été trop chaud. La population locale n’a d’autre ressource que cet élevage «trop mesquin, disons-le» pour subvenir à la «becquée quotidienne». Terre aride, surplombée par ces monts sauvages des Aurès, la population vit un autre âge que celui du XXIe siècle.
On ne peut rester insensible à la désolation qui frappe de plein fouet ces visages taciturnes qui attendent des lendemains qui chantent. Mais malheureusement, l’attente a trop duré et cette manifestation ou cette révolte est venue à point nommé pour que tous les regards pointent sur «cette oasis» en plein massif aurassien. Nul doute que ce sursaut tient beaucoup à cet orgueil qui caractérise le Chaoui que ce manque «de pain» quotidien, surtout quand on sait que notre pays est riche et que cette richesse prend des destinations occultes.
«On a trop attendu», dira ce vieil homme assis à même le sol devant sa porte. Sa femme paraissant moins jeune, mais rattrapée par les années de misère et levant les mains au ciel regrettant «sa naissance» car, crie-t-elle «ma douleur c’est d’être ici, en ce bas-monde où la misère est notre lot quotidien. On vit les affres d’une négligence des autorités qui ne regardent que ces renards courtisans et qui sucent le sang des autres.»
Plus loin, tout est misère où les «lambeaux» crapuleux d’une mal-vie informent n’importe quel visiteur que Tkout et Taghit sont loin de l’image que se fait le citadin de ces régions. Si le soleil accable toutes les forces de travail, le froid nocturne ne permet nullement d’aspirer à une certaine quiétude. On est là à attendre que «les secours arrivent !!!», dira ce quinquagénaire. La survie dans cette contrée rocailleuse parsemée de quelques mètres carrés de verdure est une lutte lente et déprimante. «On ne peut dire que nous existons car beaucoup pensent que Batna est une localité du nord du pays. Malheureusement, on est au sud. Ce Sud qui n’est pas Hassi-Messaoud ou Hassi R’mel mais celui qui « vide » l’être humain de sa substance pour devenir une loque», indiquera Yacine, fonctionnaire.
En effet, Arris et ses localités environnantes sont des «mots» légendaires usuels au regard du tribut versé pour l’indépendance du pays.
Aujourd’hui, si le chef-lieu de daïra a connu un développement conséquent, les hameaux qui l’entourent souffrent de cette misère accablante. L’investissement est «une denrée rare».
Chaque jour que Dieu fait, on revoit la même image : «Celle de cette personne chétive à la recherche d’un abri contre les rafales de ce vent froid et du rayon de soleil qui vite brûlera les peaux». Oui! cette image contrastée où la misère rampante gagne chaque jour, du terrain. Là, la jeunesse est prise d’angoisse et d’amertume et cache mal son désarroi et sa révolte. Cette dernière s’est manifestée par une violence, et quelle violence!

Aujourd’hui, on parle de nous!
Quels que soient les châtiments encourus, «on a au moins cette satisfaction que Tkout est sortie de l’anonymat», indiquera ce jeune, l’oreille attentive à tout ce qui se dit. «Il faut vénérer cette jeunesse qui a réussi à briser le tabou de la peur et défier les forces de l’ordre pour un idéal plus valorisant et plus probant», signifiera Dalila, enseignante dans une école primaire.
Pour notre part, cette «mini-révolution» a surpris plus d’un, car la question est de savoir comment Tkout et Taghit ont pris conscience de ce mal engendré par la gestion des responsables pour signifier par la violence le refus d’abdiquer? Ainsi, n’a-t-on pas toujours appris que le moteur de l’Histoire est la contradiction sociale entre les forces productives et ce capital?
Dans ce contexte et sur les lieux de la révolte, il est impératif de signaler cet écart entre les deux catégories de personnes qui y vivent. L’une se prélasse dans l’aisance, tandis que l’autre souffre et se console de son sort. C’est cette dernière qui a décidé de renverser l’ordre établi en réclamant haut et fort sa part, même minime, et qui consiste en un travail simplement.
Ces laissés-pour-compte, ces ignorés de l’Histoire sont restés muets assez longtemps. «Ils sont loin ces gueux», pensent les responsables qui sont chargés de mettre au diapason toute la région. «Aucun mal ne viendra de ces coins perdus», estiment ces pistonnés de l’administration.
En effet, personne dans les Aurès-Nementchas ne peut prévoir une telle volonté de briser ce mur du silence. Ajouter à cette volonté, cette ardeur qui a toujours animé ce Chaoui, «cet homme libre».
Malgré toute cette répression, qui, hier, était assimilée à la misère, aujourd’hui, aux laissés-pour-compte de l’Histoire, le changement doit intervenir au plus vite. Alger n’est pas les Aurès.
Cette révolte a eu ses martyrs et surtout quand on connaît le sentiment de révolte, mais apparemment enfoui dans le coeur de cette famille martyrisée.

La jonction des uns et des autres
La référence est de taille. Partout, à l’échelle du pays, on bouge et on fait trembler le pouvoir. La jonction et l’appropriation d’idées sont le moteur de cette ébullition dont les conséquences sont toujours imprévisibles.
Le pouvoir central et les autorités locales sont pour des solutions extrêmes à savoir : réprimer et déférer les jeunes et moins jeunes devant le juge. Ce dernier pris dans l’étau du système n’a d’autre recours que d’appliquer la loi. Là, peut-on dire que c’est la meilleure solution? La majorité des analystes et spécialistes des études sociologiques répondront par la négative.
En effet, depuis plus d’une décennie, on n’a pas cessé de parler d’un vaste chantier de réformes surtout de l’administration, ce secteur en contact direct avec le citoyen. Mais tout est resté au stade verbal.
Aujourd’hui, un élu du peuple (P/APC ou député), un chef de daïra ou plus encore, un wali ont-ils tous les atouts en main pour répondre à la demande de cette masse?
La politique caractérisée par l’expectative n’a engendré que des contradictions qui se transforment en émeutes, en révolte et par la prononciation de peines.
Là aussi, il faut revoir toute la politique des services d’ordre qui sont envoyés sur le terrain pour réprimer et non pour prévoir. C’est eux qui encaissent tous les coups pour «sauver un système en déliquescence».
Mis à part cette réalité, le retour à l’origine de l’organisation sociale, à savoir la notion «d’arch» stimule plus d’un.
Cette formule a créé un certain sentiment au niveau des esprits pour s’affirmer aujourd’hui comme une arme à double tranchant car elle réunit «tout le monde derrière elle et permet la défense de toute la communauté», contre cette «arrogance» du pouvoir.
Cette jonction d’idées et de modèle d’organisation font tache d’huile et sa prise en considération par le pouvoir devient une nécessité. Demain, peut-être, elle s’affirmera sur le terrain de la lutte malgré qu’elle soit circonscrite aujourd’hui à certaines régions du pays.
Dans ce cadre, le mouvement citoyen des Aurès a lancé un appel «contre la surenchère et la désinformation» dont certains font leur «dada» mais appelle à «l’élargissement des détenus».
Longtemps confiné dans un rôle mineur, le citoyen des Aurès, de Kabylie, de Ouargla, d’Adrar... s’érige contre toute pratique mafieuse et dénonce cette passivité des responsables, quant à prendre en main les doléances du citoyen.
Ainsi, les événements survenus à Arris symbolisent et traduisent toutes les difficultés à entrer de plain-pied dans le développement, et les animateurs et fondateurs de ce mouvement ont tenu «à rappeler le rôle de leur structure, à savoir la défense de l’amazighité à laquelle ils veulent donner ses trois dimensions identitaires dans le cadre d’une morale politique et démocratique.»
Hier, c’était Tizi Ouzou et les wilayas limitrophes, aujourd’hui ce sont les Aurès-Nementchas, avec Ouargla, Ghardaïa, Adrar...Qui pourra dire de quoi demain sera fait?

 

http://abonnes.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-367322,0.html

ENTRETIEN

Trois questions à Mohammed Hachemaoui

LE MONDE | 03.06.04

Mohammed Hachemaoui, vous êtes politologue, allocataire de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (CERI). Qu'y a-t-il de changé, à vos yeux, en Algérie ?

Je trouve le climat moral de plus en plus imprégné par des pratiques de corruption, la "tchipa", le pot-de-vin. Offrir des cadeaux à un fonctionnaire pour obtenir des passe-droits ou simplement pour pouvoir exercer ses droits, devient la norme et s'accompagne d'une forte dévalorisation du travail salarié. Le modèle de réussite est désormais le trabendiste (trafiquant), l'affairiste.

A l'échelle supérieure, on assiste à une reconversion lente de l'affairisme vers la politique. Des gros commerçants pensent qu'en entrant à l'Assemblée nationale, par exemple, ils se rapprochent des centres de pouvoir. Ils se posent en patrons, en intercesseurs, redistribuent des ressources, exercent la marchandisation du vote, etc.

Comment réagit la présidence de la République face à l'extension de ce phénomène ?

Le président Bouteflika joue de ce clientélisme. Il se pose en raïs, en chef suprême du "makhzen", ce système de diffusion du pouvoir et de redistribution des ressources. Cela n'est pas nouveau en Algérie. Il y a eu un "makhzen" à l'époque turque ainsi qu'à l'époque coloniale. Et cela correspond à l'imaginaire d'Abdelaziz Bouteflika, qui a vécu au Maroc. Mais ce clientélisme n'est pas capable de satisfaire les besoins de toutes les couches sociales.

Comment voyez-vous les cinq années à venir ?

Tout dépendra de la capacité du pouvoir à redistribuer les ressources. Le problème, c'est surtout les jeunes. Ils n'ont pas de cadre de représentation. Il n'y a pas de forces structurées, tels que partis politiques, syndicats, capables de leur inculquer une culture politique. Seuls restent la "houma" - le quartier, le stade, les réseaux marchands et l'émeute. Nous vivons dans une société de prédateurs, où chacun veut avoir sa part, tandis que grandit le sentiment d'impunité. Ceux qui échappent à cette tendance générale ne sont pas en mesure d'imposer une alternative à la société.

Propos recueillis par Florence Beaugé

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.06.04

 

http://abonnes.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-367320,0.html

En Algérie, l'impatience sociale se heurte au statu quo politique

LE MONDE | 03.06.04

Réélu il y a moins de deux mois avec 85 % des voix, le président Bouteflika a reconduit un même gouvernement au programme identique. Alors que des jacqueries ont repris dans le pays et que l'attente populaire est immense, les opposants restent sonnés par leur défaite.

Alger de notre envoyée spéciale

La vie a repris son cours normal à Alger. Il est difficile de croire qu'une élection présidentielle s'est déroulée ici, il y a moins de deux mois, et qu'Abdelaziz Bouteflika a pu risquer de perdre le pouvoir. En présentant son programme, fin mai, aux députés puis aux sénateurs, Ahmed Ouyahia, le premier ministre, a parlé de "réconciliation nationale", d'accélération de "la transition vers l'économie de marché", de la création de "deux millions d'emplois" et d'"un million de logements". Un programme qui n'est guère nouveau.

L'homme de la rue, lui, ne retient qu'une chose : les caisses de l'Etat sont pleines comme jamais, grâce au pétrole ! Quarante et un milliards de dollars (près de 34 milliards d'euros)... La nouvelle donne des frissons. "J'ai calculé : ça fait 10 millions de dollars pour chacun d'entre nous ! raconte un étudiant, l'air gourmand. Ils ont intérêt à nous en faire profiter au plus vite !"

Le problème du président Bouteflika pourrait bien être celui-là. L'attente populaire est immense, or, pour l'heure, rien ne change à Alger. L'équipe gouvernementale a été reconduite, presque telle quelle, dans ses fonctions. Les principaux ténors sont toujours en place. Le statu quo semble devoir prévaloir. "Les Algériens ont opté pour la continuité. Pourquoi faudrait-il tout bousculer ?", dit-on à la présidence. Dans l'immédiat, on digère la victoire. A croire qu'il n'y a pas urgence.

"RAFFINEMENT"

Du nord au sud et d'est en ouest, les jacqueries ont pourtant repris. Tkout, dans les Aurès, Djelfa, à 300 kilomètres au sud de la capitale, Ghardaïa et Adrar, dans le Grand Sud, font partie des localités qui se sont embrasées dans le courant de mai, l'espace de deux ou trois jours, parfois plus. Chômage, logement, "hogra"(abus de pouvoir) sont toujours à l'origine de ces brusques explosions de colère. Les jeunes se comportent en hooligans, dans la rue et les stades.

Les principales figures de l'opposition restent pour l'instant tétanisées par les résultats de l'élection du 8 avril. Ali Benflis vient de regagner Alger, après un mois passé à l'étranger à se refaire une santé et panser ses blessures. S'il a été humilié par sa défaite (moins de 7 % des voix, selon les résultats officiels), le principal rival du président Bouteflika fait bonne figure. Il garde un silence de sphinx mais lâche tout de même qu'il "n'a pas perdu l'élection puisque tout a été fraudé".

Ahmed Taleb Ibrahimi, chef du parti Wafa (non agréé), préfère lui aussi se taire jusqu'en septembre. "En 1999, on m'avait privé d'une victoire certaine. Cette fois-ci, on m'a privé d'un contact avec le peuple", glisse cependant ce nationaliste apprécié de la mouvance islamiste, évincé de la compétition électorale par le Conseil constitutionnel, sans doute en raison du danger qu'il représentait.

Pour tous ceux qui ont participé, de près ou de loin, à l'élection du 8 avril, "le crime, cette fois, était presque parfait !", suivant l'expression de Sid Ahmed Ghozali, leader du Front démocratique (non agréé), écarté comme Taleb Ibrahimi de la compétition électorale. Tous soulignent que la mise en scène de l'élection 2004 a atteint "un degré de raffinement"jamais égalé. S'ils ne contestent pas la victoire du président sur le fond, ils se disent "stupéfaits"des 85 % des voix accordés au président Bouteflika. "55 % au premier tour, à la rigueur, oui. Mais impossible que le président ait pu obtenir davantage", soulignent-ils, unanimes.

Pourtant, ils en conviennent aisément : l'important n'est pas de déterminer l'ampleur de la fraude supposée mais de comprendre le mécanisme qui a pu donner l'illusion d'une élection libre. "On s'est fait berner. Jusque-là, l'élection présidentielle n'était qu'un rituel, destiné à ratifier un choix fait d'avance. On s'est cru, cette fois, partie prenante du changement. Le "deal" conclu entre le président et l'armée, la clé de l'énigme, je ne l'ai pas pour l'instant", reconnaît sans détour Mohamed Benchicou, directeur du Matin.

Ce journaliste à la plume acérée, qui a mené une campagne féroce contre le président Bouteflika, avoue qu'une question le taraude depuis le 8 avril au soir : "Pourquoi donc la hiérarchie militaire a-t-elle joué ce jeu malsain ?" S'il ne s'agissait que de crédibiliser l'élection, le commandement militaire n'avait pas besoin de s'impliquer à ce point dans la manœuvre, et publiquement, soutient M. Benchicou. Pour lui, l'armée vient de ruiner sa crédibilité, et c'est là la principale conséquence de ce jeu de poker menteur. "Nous, qui avions pris sa défense en de nombreuses circonstances, notamment dans le débat du "qui tue qui", nous voilà plein de doutes à présent. Que la hiérarchie militaire ne compte plus sur nous pour faire passer ses messages à présent !", fulmine-t-il.

"VAS-Y, TU AS NOTRE APPUI !"

"Si on entre dans la logique du système, on se fait tôt ou tard piéger", analyse pour sa part Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) dans une claire allusion à Ali Benflis et à ceux qui l'ont soutenu. Pour cet homme respecté, "ceux qui étaient dans le secret des dieux étaient par définition peu nombreux. Certains n'ont jamais été dupes, d'autres l'ont été un moment. Quand ils ont compris le scénario, c'était trop tard. Il leur était difficile de faire marche arrière et d'avouer : "je me suis trompé"".

Le scénario ? Il semble qu'il ait consisté, de la part de la hiérarchie militaire, à souffler à presque tous les prétendants à la présidence de la République : "Vas-y, tu as notre appui !" Ali Benflis y a cru. Les autres aussi, à des degrés divers. Seul Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement et ancien militaire, a déjoué la manœuvre.

Dès le mois de décembre 2003, cet homme du sérail avait refusé d'entrer dans la danse. Il avait compris que la sécurité militaire - "le principal parti politique d'Algérie", comme le qualifie Saïd Sadi, leader du parti kabyle Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) - avait déjà opté pour le président Bouteflika et qu'elle le laisserait employer tous les moyens pour se maintenir au pouvoir. "L'Algérie a inspiré Camus, ne l'oubliez pas. Il n'y a aucun doute : Sisyphe est algérien", sourit Mouloud Hamrouche, mi-amer, mi-résigné.

Dix soldats ont été tués et 16 autres blessés,

mercredi 2 juin, au cours de l'attaque la plus meurtrière subie par les forces de sécurité depuis le début de l'année, selon la radio publique algérienne. Le convoi a été pris en embuscade, en plein jour, par des rebelles armés sur une autoroute près de Bejaïa, en Kabylie. - (Reuters.)

Florence Beaugé

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M. Sarkozy en visite à Alger et Boumerdès

Le ministre français des finances, Nicolas Sarkozy, doit effectuer, les vendredi 4 et samedi 5 juin, une visite en Algérie, axée sur les échanges commerciaux. M. Sarkozy sera accompagné, entre autres, des PDG d'Alstom, de Bouygues, de Gaz de France et de la RATP. Il doit être accueilli, vendredi, par son homologue algérien, Abdelatif Benachenou, et rencontrer M. Bouteflika, samedi en fin de matinée, avant de déjeuner avec lui. Les discussions devraient porter, en particulier, sur la dette algérienne et le prix du pétrole.

M. Sarkozy devra visiter, notamment, la foire d'Alger, qui accueille 1 800 entreprises, dont 1 200 étrangères, parmi lesquelles 360 françaises. Il se rendra aussi à Boumerdès, la ville la plus touchée par le tremblement de terre du 21 mai 2003, qui avait fait près de 2 300 morts. Une convention de prêt de l'Agence française du développement devra être signée sur place, vendredi. - (AFP.)

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.06.04

 

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-11-24/2004-11-24-450547

Le Web de l’Humanité – 24 novembre 2004

En Algérie, condamnations en série de journalistes

Inquiétude sur l’intensification de la répression dans un pays qui fait encore figure d’exception au Maghreb pour l’émergence de sa presse démocratique.

S’il y a une promesse que le président Bouteflika a faite durant la campagne pour l’élection présidentielle du 8 avril et qu’il a tenue, c’est bien de punir les journalistes. Il avait, en effet, promis de combattre « les mercenaires de la plume au nom de l’État et du peuple ». Ainsi, une fois terminé les festivités commémorant le 50e anniversaire du 1er novembre 1954, les procès contre les journalistes ont repris.

Le directeur du Matin - journal absent des kiosques depuis juillet 2004 -, Mohamed Benchicou, qui purge une peine de deux ans de prison ferme, a été de nouveau condamné le 16 novembre, pour outrage au chef de l’État, à six mois de prison avec sursis et au versement d’une amende de 2 500 euros. Le journaliste a été condamné pour une chronique intitulée « La république de Fatiha Boualgua », du nom de l’épouse du ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni. Quant à l’affaire opposant le directeur du Matin et la journaliste Abla Chérif, au ministère de la Défense , suite aux articles relatant des cas de tortures contre des manifestants interpellés à la suite des émeutes de T’Kout, dans les Aurès en mai 2004, elle a été renvoyée au 23 novembre pour cause d’absence des plaignants. À l’origine de ces émeutes, qui ont duré plusieurs jours, l’assassinat par un garde communal du jeune Chaib Argabi, dix-neuf ans, le 13 mai 2004. D’autres affaires en diffamation attendent le directeur du Matin et plusieurs journalistes de sa publication.

Une semaine auparavant, le 10 novembre, six mois de prison ferme et 500 euros d’amende avaient été requis contre Omar Belhouchet, directeur d’El Watan pour la publication d’un article intitulé « Les armes par la poste », et trois mois de prison ferme pour un second article, « La mafia de Tindouf », mettant en cause le maire de cette ville du sud-ouest algérien. Quant au journaliste auteur de l’article, Lyes Bendaoud, le procureur a requis une peine de 16 mois de prison ferme. Enfin, quatre journalistes du Soir d’Algérie - dont le directeur de la publication, Fouad Boughanem - sont également poursuivis pour « diffamation et outrage au président de la République  » et risquent d’être condamnés à des peines de prison et à de fortes amendes.

Les poursuites judiciaires sur fond de condamnations à des peines de prison et de fortes amendes à l’endroit des journalistes s’inscrivent dans cette politique de normalisation de la société menée au pas de charge par le régime algérien depuis la récente élection présidentielle. Cette volonté de faire rentrer dans le rang la presse contredit les assurances du président algérien, affirmant dans un message adressé aux journalistes en mai 2004 sa « détermination à veiller à l’exercice, par tous, de la liberté d’expression en droite ligne de la déclaration universelle des droits de l’homme ». Dans son entreprise de mise au pas des journaux les plus critiques, le pouvoir politique ne semble ni à court d’arguments ni à court d’idées. Dernière en date, la décision annoncée par le ministre de la Communication , Boudjemâa Haïchour, d’une nouvelle loi sur l’information devant régir la profession de journaliste et de la doter d’un code de déontologie afin d’éviter aux journalistes certains dérapages et, partant, des poursuites judiciaires. En fait, cette dernière proposition s’apparente à une volonté de pousser les journalistes à s’autocensurer.

De façon générale, de sérieuses menaces pèsent sur les libertés. Plusieurs syndicats autonomes et leurs dirigeants, ainsi que des militants des droits de l’homme, sont soumis à de fortes pressions policières et judiciaires, tandis que d’autres ont été condamnés à la prison, comme c’est le cas des animateurs des manifestations de protestation populaire de T’Kout (Aurès), de Ouargla et de Ghardaïa dans le sud de l’Algérie.

Le plus curieux, c’est que le président Bouteflika s’est prononcé, à l’occasion de l’anniversaire du 1er novembre 1954, sur une loi d’amnistie générale concernant les seuls islamistes condamnés et ceux qui renonceraient au djihad. La mesure, accueillie favorablement par une partie de la société, suscite néanmoins moult interrogations, parmi lesquelles celle de savoir si cette amnistie sera étendue aux syndicalistes, aux militants des droits de l’homme et aux journalistes emprisonnés, ceux condamnés à de fortes amendes et ceux poursuivis actuellement pour diffamation et qui risquent de lourdes peines. « Verra-t-on Abderezak le para ou Hassan Hattab, chefs du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) et les chefs du GIA coupables de crimes sur des civils, se promener librement dans Alger, alors que des journalistes et des militants associatifs demeureront en prison ? », s’interroge un militant des droits de l’homme. En attendant, les harcèlements judiciaires à l’endroit de la presse et des journalistes se poursuivent, tandis que des syndicalistes sont menacés de poursuites judiciaires, sinon de licenciement. Et rien ne semble indiquer que le pouvoir politique soit tenté par une politique d’apaisement envers la presse.

H. Z.